LE CENTRE ARTISTIQUE DE PIEG0N

Que faire quand on est fatigué de l’œuvre en cours, quand on n’est plus inspiré par le quotidien, quand personne ne dispense plus l’énergie dont on a besoin lorsque, à un certain moment, s’évanouit la certitude de sa propre utilité et que le milieu de base reste,désespérément terne ?

Moi je le sais.

Il faut aller quelque part au cœur d’une nature ravissante où un amical’ entendement s’intéresse à ce qu’on fait, pense et sent.

Tout cela se trouve au CENTRE ARTISTIQUE DE. PIEGON. ,
Un flanc, de colline; une ancienne maison grande, jolie, arrangée et, vaste rectangle de terre dure, une terrasse plantée d’arbres d’essences diverses, de quoi choisir entre soleil et ombre, selon l’humeur. Toute vue panoramique est, en soi, un repos fabuleux ;’mais ce n’est pas le plus important à découvrir là,’à mi-chemin de Vaison-la-Romaine et de Nyons dans la Drôme Provençale.

Autre chose, qu’on ne peut soupçonner ailleurs harmonise cette situation à l’art de vivre. Les hôtesses, la veuve et la fille de Jean-Pierre Eichenberger, Sheela et Claude, y créent chaque jour le sentiment d’être environnés d’esprit et de charme, de conscience et de foi. Elles ont la notion des phénomènes essentiels et baignent le visiteur de vie bienfaisante. Leur parfaite simplicité et leur naturel courtois ,donnent à penser qu’on peut vivre autrement, c’est- -à-dire dans une atmosphère épanouissante pour tous.

A Piégon, le génie de la création est partout et n’attend pas qu’on s’étende au soleil ou qu’on se promène dans le parc sans participer à une activité de son choix, n’importe laquelle, selon ses goûts et.en toute liberté, chacun à sa façon. Outre les stages proposés, on peut fréquenter la bibliothèque dont les ouvrages révèlent les préoccupations des Résidentes elles-mêmes actives dans les disciplines artistiques et toujours intéressés par les travaux et recherches des Visiteurs entourés de sollicitude.

Les artistes se réfugient tout naturellement dans cet endroit privilégié, mais on y rencontre aussi des gens simplement heureux de méditer silencieusement sur des sujets substantiels ou de s’entretenir des mêmes thèmes à haute voix avec les autres convives venus distiller la vie créatrice dans la confiance générale. Parfaitement réglé, le mouvement perpétuel interne fonctionne sans défaillance : s’écarte-t-on dans la solitude laborieuse ou contemplative? Un cercle vous accueille immanquablement au retour, dès qu’on reparaît. .Si du printemps à l’automne, on vit principalement sur la terrasse et aux alentours de la maison, celle-ci offre mille coins et recoins attrayants par la disposition du mobilier et la présentation, partout d’œuvres d’art anciennes et contemporaines.

Particulièrement frappant, aussi, est le temps des repas, nœuds indispensables de la journée. Depuis la plus haute antiquité, comme à la Renaissance et au XVIIIe siècle, les humanistes ont su que « manger » n’était pas seulement un acte de survie mais presque une cérémonie de rencontres qui fournit au groupe l’occasion d’échanger sans gravité .ostensible.

Et comme tout se fait dans la plus haute qualité .et la plus grande sérénité, les mets servis à Piégon sont d’une rare finesse et d’une incroyable variété. Cet extrême raffinement est présenté si sobrement; qu’il parait être la chose la plus simple et la plus évidente qui soit. Jamais on ne se doute que les in-finies surprises sorties de la cuisine dans de très belles assiettes ont coûté tant d’imagination, de peine, de fantaisie et de savoir! Subtile distinction d’un accueil choisi où rien n’est laissé au hasard et dont le résultat est la satisfaction inouïe de tous, euphorie dont est exclue la moindre tension. C’est à cause de cette attention qu’on se sent toujours à l’aise..

Peu importe d’où l’on vient » l’âge qu’on a, pourvu qu’on comprenne « l’essentiel » en ‘compagnie de manuels et d’intellectuels de toutes professions, l’aventure n’étant pas, le.profit et' »l’essentiel » étant’ d’être des modèles toujours nouveaux, toujours inspirés.

Sortant des salons de musique ou de la bibliothèque pour se rendre au théâtre:de verdure, le chemin est parfumé par,le thym, le romarin, le laurier aux fleurs tenaces, les iris, mauves ou jaunes, les jonquilles, les roses, les buis, les bambous, les cèdres, le plaqueminier, le micocoulier. De la chambre que j’occupais, je contemplais ce paysage immense par-dessus l’autre versant de la vallée, les yeux noyés dans les mille bleus de,l’horizon, je réalisais que le fondement de Piégon, c’est l’Amour:.

Écrit en 1990 par :

Victorine HEFTING;~-.

Directrice honoraire du Service des Beaux-.Arts et des Musées municipaux de,la Ville de La Haye. »